Comment Fifi comprenait-elle l’importance du prénom pour la personne qui le porte?
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Ma marraine Fifi et ma mère
Quand Fifi, la cousine de ma mère et ma marraine, et moi sommes arrivées de l’aéroport, papa était à la pêche et maman, allongée sous son arbre. Elle appelait cela les bains d’ombre. Ces bains-là offraient selon elle tous les avantages du soleil sans les inconvénients. La vie s’écoulait, tranquille, entre pêche à la ligne et bains d’ombre, loin du monde, si loin que la situation en devenait angoissante à mes yeux.
Fifi débarquait comme une tornade: aussitôt la bouillabaisse était dans la casserole, les fleurs dans les vases et la sieste perturbée. Il faut dire qu’il nous suffisait de peu pour nous affoler.
Elle aimait nous impressionner, nous montrer qu’elle était importante. Elle avait besoin d’éblouir. Maman m’avait dit: “À l’école, Fifi était meilleure à l’oral et moi à l’écrit.” J’en avais conclu que c’était parce que maman avait une intelligence tranquille, qui se développait à l’ombre des regards, qu’elle ne savait pas répondre, ni parler en public, ni même se défendre comme Fifi, qui était mieux taillée pour l’affrontement.
Maman m’appela Marie, Fifi s’en arrangea en me surnommant Maria-Lila: “Il faut garder la part du rêve dans un prénom; Maria-Lila … tu entends, il est là, le rêve, dans le tiret, dans la composition. C’est un bouquet, ce prénom-là!”
Si j’avais été la fille de Fifi, à coup sûr, elle aurait osé m’appeler Indiana ou Kenza parce que cela voulait dire trésor en arabe littéraire, ou même Sultana. Elle était ma grande cousine, pas ma mère, et son argument selon lequel “avec le nez, le prénom c’est la première chose que l’on voit, donne-lui un prénom qui lui permettra de se distinguer … Maria-Lila, c’est un prénom unique au monde!” ne fut pas retenu. Maman n’aimait pas la visibilité et, bien que Fifi fût ma marraine, elle échoua officiellement. Officieusement, Fifi l’emporta puisque tout le monde, à part maman, m’appelait Maria-Lila.
Je me prénommais Marie, j’habitais Fédala. Je nageais dans des criques à l’heure du déjeuner avant de retourner en classe cheveux mouillés ; je galopais à la tombée du jour, le long du rivage. Est-ce que je pourrais m’habituer au bruit strident d’un réveil, au métro, à la pluie, au sport en salle?
Malgré mes quatorze ans, maman m’habillait comme une petite fille modèle: robes en organza brodé, fabriquées au Portugal, nattes enroulées autour des oreilles, les affreux “macarons” qu’elle affectionnait. Ma sœur Sofia et moi avions l’air de deux idiotes. Ce n’était pas de bon cœur qu’Aida nous tressait les cheveux, mais c’étaient les ordres de ma mère.
Maman vivait hors du temps. Hors de la mode, hors des années qui passaient. Elle avait gardé ses shorts vichy à
À cause de cette logique, nous ne partions jamais en voyage.
Maman était trop occupée à composer des bouquets, un mélange étonnant de branches de jasmin et de bougainvilliers, trouvés dans le jardin, comme d’autres à l’étalage du fleuriste, pour s’apercevoir de mon désespoir.
Un jour, je serais habillée à la mode. Je me l’étais juré, comme on s’engage dans l’armée. Un jour, je n’aurais plus honte de mes macarons ni des robes démodées de Carmen, la couturière, un jour, moi aussi je serais “à la pointe”. La pointe de quoi? Fifi ne le précisait pas, mais j’étais prête à la suivre.
D’après Christine Orban “N’oublie pas d’être heureuse”