Combien de pages doit-on lire en quinze jours?
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Un adolescent devant un Livre
Et le voilà, adolescent enfermé dans sa chambre, devant un livre qu’il ne lit pas. Toutes ses envies d’être ailleurs font entre lui et les pages ouvertes un écran vert qui trouble les lignes. Il est assis devant sa fenêtre, la porte fermée dans son dos. Page 48. Il n’ose compter les heures passées à atteindre cette quarante-huitième page. Le bouquin en compte exactement quatre cent quarante-six. Des pages bourrées de lignes comprimées entre des marges minuscules, de noirs paragraphes entassés les uns sur les autres. Ça manque d’air!
S’il se souvenait, au moins, du contenu de ces quarante-sept premières pages! Il n’ose même pas se poser la question
L’annonce de la date fatidique déclenche un concert de protestations: “Quinze jours? Quatre cents pages à lire en quinze jours! Mais on n’y arrivera jamais, Monsieur!”
Monsieur ne négocie pas. Pour un élève, un livre, c’est un objet désagréable et c’est un bloc d’éternité. C’est la matérialisation de l’ennui. “Le livre”. Il ne le nomme jamais autrement dans ses dissertations: le livre, un livre, les livres, des livres. “Dans son livre Les Pensées, Pascal nous dit que ...”
Le prof a beau protester en rouge que ce n’est pas la dénomination correcte, qu’il faut parler d’un roman, d’un essai, d’un recueil de nouvelles, d’une plaquette de poèmes, que le mot “livre”, en soi, dans son aptitude à tout désigner ne dit, rien de précis, qu’un annuaire téléphonique est un livre, tout comme un dictionnaire, un guide bleu, un album de timbres, un livre de comptes ... Rien à faire, le mot s’imposera de nouveau à sa plume dans sa prochaine dissertation: “Dans son livre, Madame Bovary, Flaubert nous dit que ...”
Parce que, du point de vue de sa solitude présente, un livre est un livre. Et le poids de chaque livre est de ceux qui vous tirent vers le bas. L’adolescent s’est assis relativement léger sur sa chaise, tout à l’heure
Maison vide, parents couchés, télévision éteinte, il se retrouve donc seul ... devant la page 48. Et cette “fiche de lecture” à rendre demain ... Bref calcul mental: 446
Il s’y remet bravement. Une page poussant l’autre. Les mots du “livre” dansent entre les oreillettes de son walkman. Sans joie. Les mots ont des pieds de plomb. Il lit comme on avance. C’est le devoir qui pousse. Page 62, page 63.
Il lit. Que lit-il? L’histoire d’Emma Bovary. L’histoire d’une fille qui avait beaucoup lu. Le mieux est de téléphoner à Thierry, ou à Stéphanie, pour qu’ils lui passent leur fiche de lecture, demain matin, qu’il recopiera vite fait, avant d’entrer en cours, ni vu ni connu, ils lui doivent bien ça.
D’après Daniel Pennac “Comme un roman”