Avec qui Jaques Bernier doit-il passer ses vacances?
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Avant les vacances
Je dois être un Français moyen: pas très haut, assez maigre, blond, un peu chauve, légère myopie, professeur de français dans un lycée parisien, une chance que je ne m'appelle pas Dupont, bien que Jacques Bernier ne soit pas particulièrement original.
Bientôt le départ, et j'ai encore plein de choses à faire: demander à la concierge de faire suivre mon courrier, payer le loyer, téléphoner et surtout faire les valises, plutôt la valise. J'ai toujours une impression de tristesse quand j'ouvre l'armoire: tous mes costumes sont gris, mes chemises blanches, mes pulls sobres, mes chaussettes noires. J'ai envie parfois de ces choses qu'ils vendent aujourd'hui mais c'est toujours dans des boutiques grandes comme des placards, bourrées de vendeuses suédoises, les types qui rentrent là-dedans ont le genre jeunes cinéastes costauds, je recule toujours. Et puis les élèves! Quand j'ai acheté mes bottes, je suis resté assis derrière mon bureau toute une journée, j'ai fait tous mes cours soudé à ma chaise au lieu de déambuler comme d'habitude devant le tableau. Ce n'est pas qu'elles étaient voyantes, mais enfin elles avaient un petit côté western avec une boucle dorée, et quand je montais les escaliers quatre à quatre, j'avais l'impression que tout le lycée avait les yeux fixés dessus.
On sonne. C'est Mme Morfoine, la concierge. Elle doit avoir envie de bavarder un peu.
«Alors, monsieur Bernier, c'est le départ?
«Vous en avez de la chance dans l'enseignement! deux mois et demi! Et où allez-vous, si je ne suis pas curieuse?»
«Dans le Midi, au-dessus de Menton, un petit village … Au fait, pour le courrier, si vous pouviez faire suivre …»
Elle est partie avec, dans sa main serrée, l'adresse d'Anne et un billet de dix francs. Je suis content de revoir Anne, ma fille. J'avais toujours beaucoup de mal à la quitter le dimanche soir lorsque je la ramenais chez sa mère … Je l'amenais voir tous les Walt Disney. Entre sept et dix ans, elle n'en a pas loupé un. Il fallait en général rester deux fois. Un jour on a vu Peter Pan trois fois de suite en mangeant des réglisses. J'ai été malade toute la nuit. Elle, non.
A dix ans, elle a commencé à vouloir voir des films d'amour. Chaque fois qu'un cinéma reprenait «Autant en emporte le vent», elle courait vers moi en brandissant un journal à la page des programmes et on prenait le métro. J'ai dû le voir une fois dans chaque arrondissement. Je connais le film plan par plan. Je suis le super-spécialiste des amours compliquées de Rhett Butler et de Scarlett O'Hara.
Et puis Catherine, mon ex-femme, m'a annoncé qu'elle partait au Canada, «refaire sa vie» comme elle disait. Elle hésitait à emmener Anne, c'était un autre pays, une autre langue, un autre monde … Bref, Anne est venue vivre avec moi.
Après elle a grandi et elle est partie. Nous menons à présent des vies parallèles. Elle se débrouille bien. Et puis, il y a trois semaines, elle m’a dit au restaurant:
«Ça te dirait de passer des vacances avec moi? Tu auras une chambre formidable au premier, le mur est plein de fleurs … Et puis on n'a jamais passé de vacances ensemble …»
J'ai levé mon verre empli d'un vin violet.
«À nos vacances.»
On s'est quittés tout joyeux, ravis l'un de l'autre.
D’après Patrick Cauvin «L’amour aveugle»